Rev. Guy Bognon - LES NOUVEAUX DEFIS PASTORAUX : UN REGARD MONDIAL

Rev. Guy Bognon (Benin), Segretario generale dell’Opera di San Pietro Apostolo (Dicastero per l’Evangelizzazione, Sezione per la prima Evangelizzazione e le nuove Chiese particolari

09 febrero 2024

INTRODUCTION

« … Je t’invite à raviver le don spirituel que Dieu a déposé en toi par l’imposition de mes mains… Ne rougis donc pas du témoignage à rendre à notre Seigneur, mais souffre plutôt avec moi pour l’Évangile » (2 Tm 1, 6-8).

C’est Saint Paul qui s’adresse ainsi à son disciple et compagnon Timothée dans une lettre classée parmi les lettres appelées « pastorales » depuis le XVIIIème siècle, parce que contenant des directives pour l’organisation et la conduite des communautés dirigées par les destinataires.

Cette invitation destinée à Timothée demeure d’une grande actualité encore aujourd’hui et tout prêtre pourrait en faire sa devise, la gardant constamment en mémoire comme aiguillon qui stimule et maintienne dans les dispositions nécessaires à la fécondité de notre ministère pastoral. Timothée était confronté à des défis, et il lui fallait consolation et encouragement.

À plusieurs siècles de distance de l’époque des Apôtres, les difficultés devant la mission d’évangélisation sont encore plus complexes. Nous sommes à une période de découvertes et de nouvelles technologies où les mentalités, les styles de vie et de comportements changent à une vitesse impétueuse sans que l’homme ait le temps de se rendre compte des enjeux de ces changements qui le conditionnent, le transforment et risquent de lui enlever son humanité s’il ne s’agrippe pas à un socle solide qui lui rappelle le sens de son existence. Nous traversons l’ère d’une nouvelle culture où les stratégies de la gouvernance mondiale, proposent et imposent des normes culturelles, éthiques et politiques, parfois nocives aux valeurs de la nature humaine que véhiculent les cultures traditionnelles et la foi chrétienne. 

Dans ce contexte le mandat missionnaire de l’Église retrouve toute sa pertinence et le ministère pastoral du prêtre se révèle d’une importance indéniable pour toute personne en quête de vérité et de repères. L’exercice de ce ministère n’est pas sans défis. Le présent exposé, loin de prétendre à un inventaire des défis pastoraux dits nouveaux, voudrait simplement jeter dans la mare quelques pierres pour laisser chacun poursuivre la réflexion sur notre mission dans le monde aujourd’hui. Ces pierres s’intitulent successivement, la mission, une expression à comprendre ; la mission à l’épreuve du temps ; la mission comme cohérence entre foi et vie.

 

I / LA MISSION, UNE EXPRESSION À COMPRENDRE 

Aujourd’hui, dans le champ pastoral, la notion de mission a connu une évolution qui oblige à lui donner un contenu nouveau ou à repréciser son sens selon l’Église qui, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire par nature (Ad Gentes, 2).

Lors de la grande période de l’expansion du christianisme du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle, la question « qu’est-ce que la mission ? » ne se posait guère. Mission signifiait partir en, en Asie, en Afrique, Amérique, en Océanie ou ailleurs, « au loin », pour annoncer l’Évangile à ceux qui ne l’avaient pas encore entendu. On distinguait l’évangélisation « au près » de la mission « au loin ». La mission, souvent considérée comme une affaire de spécialistes, consistait à traverser la frontière entre la foi et son absence. On parlait systématiquement de « partir » en mission, ce qui pourrait signifier que la mission se déroulait nécessairement ailleurs, pas dans le pays que l’on quitte, mais dans les continents nouvellement découverts.

Mais grâce à l’élan apostolique de ces nombreux et zélés missionnaires partis au loin, l’Évangile a pris racine partout dans le monde aujourd’hui, et sur tous les continents, existent des chrétiens et des disciples missionnaires.  L’expansion de l’Évangile n’est plus un mouvement partant uniquement d’un seul point vers le reste du monde. Ce schéma est révolu. Aujourd’hui, le mouvement est multidirectionnel : ceux qui annoncent l’Évangile viennent de partout et vont partout. Presque tous les pays qui accueillent des missionnaires en envoient à leur tour ! La terre d’Europe qui fournissait et fournit encore des missionnaires est comprise aussi comme une « terre de mission » qui accueille désormais l’Évangile de la part des territoires sur lesquels elle l’avait porté et le porte encore.

Il s’agit là d’une collaboration missionnaire mutuelle, synodale, qui doit susciter de part et d’autre joie et enthousiasme, accueil fraternel et bienveillant, parce que fruit bienfaisant de la sueur et des sacrifices des anciens missionnaires, de catéchistes et fidèles autochtones dont beaucoup avaient signé de leur sang leur foi et leur mission. Dépouillé de tout intérêt matériel égoïste, le but de ces pionniers missionnaires poussés par l’Esprit Saint, ne résidait pas dans le simple fait de rejoindre une destination éloignée, insolite, après un long et périlleux voyage. Leur objectif était d’accomplir une mission, celle consistant à faire prendre conscience à toute personne, de la présence et de l’action de Dieu dans notre vie humaine. Cette mission est la proclamation de la joie de l’Évangile, en mettant à la disposition de tous, la possibilité de découvrir le CHRIST. Telle est et doit être la compréhension de notre mission de prêtre, qui est à distinguer de la mission des ONG, de la mission des partis politiques, de la mission des touristes aventuriers officiels. Notre mission de chrétien et de prêtre a un contenu, c’est JÉSUS-CHRIST. Ce qui fait que notre mission est mission, où que nous soyons, ce n’est pas le pouvoir, le titre ou la richesse, mais le message à faire passer de façon joyeuse, humble et désintéressée ; et ce message c’est : JÉSUS-CHRIST.  

 

II / LA MISSION À L’EPREUVE DU TEMPS  

Nous sommes à l’heure de nouvelles techniques d’information et de communication avec la multiplication des réseaux sociaux devant lesquelles nous nous extasions au point de laisser ces instruments devenir nos maîtres. Le loisir est nécessaire pour l’équilibre de la santé et même pour l’efficacité de notre travail ; mais trop de passion pour le jeu infantilise et rend irresponsable l’homme adulte.

Aujourd’hui, sur l’ordinateur ou sur le téléphone, on peut passer des heures à jouer sans rien produire qui relève de notre identité de prêtre. Le prêtre peut gaspiller des heures à l’internet, sur Facebook ou autres, avec des correspondants importuns, et se retrouver à la fin, épuisé, sans avoir dit ses prières, ni accompli une activité pastorale nécessaire liée à sa mission. On peut brûler de longs moments devant la télévision à suivre de chaines en chaines des émissions, des matchs, des films, au détriment d’une aide ponctuel à quelqu’un dans le besoin ou de l’accueil d’un indigent qui ne quête que notre écoute. Le prêtre peut passer une large partie de la journée au téléphone sur les réseaux sociaux à échanger avec des correspondants multiples, des messages utiles et futiles dont la somme pourrait constituer plusieurs pages de roman, puis se trouver le soir, la tête vide et douloureuse, avec le regret de n’avoir pas encore préparé l’homélie du lendemain, ni apprêté un dossier urgent, ou avoir accompli un service pastoral dont le soin lui est confié. Parfois même, c’est le sommeil de la nuit qui est sacrifié aux jeux et aux réseaux sociaux, imposant à l’organisme une fatigue qui l’oblige à réclamer le repos à tout moment.  

Certes, les techniques nouvelles de communication sont très utiles, et même très indispensables pour notre mission. Mais en même temps elles peuvent constituer des sources ravageuses de l’intériorité et même de la dignité, des outils assez nuisibles à notre vie spirituelle et morale sans laquelle notre vie pastorale ne serait qu’agitation et vaine course.

Nous savons peut-être faire chaque soir le compte des dépenses faites dans la journée, et les consigner dans un carnet. Cela aide à mieux organiser sa vie financière pour éviter entre autres, de folles dépenses… Ce serait utile, si chaque soir, nous pourrions examiner ce qu’a été la journée et confronter le nombre d’heures brûlées dans le vide avec le temps que nous avons réellement utilisé dans le cadre de notre identité de prêtre et de notre mission. Le temps gâché est souvent constitué des minutes et des heures devant être affectées à la prière du bréviaire ou au silence tout court ; à la lectio divina ou au chapelet, à la visite au Très Saint Sacrement ou à la lecture d’une page édifiante pour l’âme, bref, à ces activités spirituelles que l’on croit seulement réservées aux séminaristes encore en formation. Or leur place vide dans notre vie de consacré, non seulement nous rend légers, faibles, vulnérables, facilement attaquables, mais aussi prive de fécondité notre ministère, notre mission.

Le prêtre est un consacré. Or derrière l’expression « CONSACRER » ou « SE CONSACRER » se cache l’idée de totalité de soi, totalité de son être, totalité de son avoir, totalité de son temps, totalité de sa VIE, entendue aussi bien comme espace de temps qui va du moment présent jusqu’à la mort, que comme l’ensemble des événements et des faits qui remplissent cet espace de temps. Nous en souvenir ne serait pas sans utilité pour notre mission de chaque jour.

 

III / MISSION COMME COHÉRENCE ENTRE FOI ET VIE

Nous vivons aujourd’hui dans un monde sécularisé dont les caractéristiques, les modèles et les slogans marquent, influencent et même conditionnent le comportement quotidien non seulement des chrétiens mais aussi des agents pastoraux que sont les prêtres. La civilisation numérique modifie considérablement tous les domaines de la vie humaine, y compris les rapports avec le monde, le semblable et Dieu. La mentalité hédoniste et consumériste ambiante peut conduire à la superficialité et à l’égocentrisme qui contrastent avec les exigences de notre identité et de notre mission.

C’est ainsi que les dérives chez des prêtres déboussolent et rendent difficile la mission d’évangélisation. Le contexte ambiant du relativisme religieux entraine parfois certains pasteurs dans le syncrétisme et l’idolâtrie avec comme suite : l’occultisme, l’ésotérisme, la magie, la sorcellerie, le maraboutage, la divination, réalités dont la pratique s’oppose à l’Esprit Saint et nuit profondément à la vie fraternelle et à la réussite de la mission d’évangélisation.

Si avec l’Apôtre Pierre, nous croyons et sommes convaincus que Jésus est le Saint de Dieu, qu’en lui se trouvent les paroles de la vie éternelle, alors vers qui d’autre irions-nous [1]? À Lausanne, à ceux qui lui demandaient ce qu’il fallait faire pour que le christianisme devienne une force aux Indes, le saint homme Gandhi répondit : « Il faut que vous, missionnaires, viviez comme le Christ a vécu. Le Christianisme est bon, mais beaucoup de chrétiens sont mauvais ». Si nous étions assez chrétiens, nous serions contagieux.

Notre pastorale ne consiste pas à exposer de grandes idées, mais à donner aux hommes le goût de Jésus-Christ, le goût de Dieu, le goût d’eux-mêmes. Il s’agit surtout d’« être » ; si nous vivions de la Lumière, nous serions lumineux. C’est pourquoi le pape Benoît XVI dit : l’Église grandit non par prosélytisme, mais par attraction ». Et le Pape François ne cesse de le rappeler : la foi se transmet par attraction, par le canal de l’amour et du témoignage qui attire.

Cependant, l’effort de cohérence de vie peut conduire à une autre attitude susceptible de produire un effet néfaste sur la mission. Cette attitude s’observe chez ceux dont parle le Pape François en ces termes : « J’ai peur quand je vois un chrétien, certaines associations de chrétiens qui se croient parfaits… Le Seigneur ne cherche pas des chrétiens parfaits, … qui font toujours étalage d’une foi inébranlable… » [2].  Le prêtre est un chrétien qui comme les autres est en marche constante vers la sainteté, par des efforts continus de conversion. Un tel témoignage est stimulant, attrayant et contagieux.  Ne soyez jamais intrigants ni vantards, écrit St Paul aux Philippiens (2, v. 3), mais ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous. Dans la même ligne, poursuivant son commentaire sur l’incrédulité de St Thomas, le Pape François nous prévient : « Il vaut mieux avoir une foi imparfaite mais humble qui revient toujours à Jésus, qu’une foi forte mais présomptueuse qui nous rend orgueilleux et arrogants. Malheur à ceux-là ! »[3]

Le Prêtre n’est pas un saint, il n’est même pas encore totalement évangélisé, l’évangélisation étant un processus de conversion permanente qui dure toute la vie. Tout n’est donc pas forcément évangélique dans le prêtre.  Nous sommes des disciples missionnaires, c’est-à-dire des personnes en permanence à l’écoute du Maître mais portant la responsabilité de l’annoncer de le faire connaître.

 

CONCLUSION

Le monde n’attend pas des prêtres ou des chrétiens ce qu’il peut se procurer lui-même sans eux ; il attend ce que seuls ils peuvent lui procurer : l’Évangile. Par conséquent, toute orientation pastorale doit être la rencontre avec JESUS-CHRIST.

Nous traversons certes une époque de changement dans tous les domaines de la vie humaine, avec de nouvelles manières de vivre, de penser et d’agir. Mais dans cette atmosphère, l’Église doit pouvoir garder la tête sur les épaules et poursuivre son rôle de mère et d’éducatrice. Le Prêtre, comme une sentinelle, un veilleur et un éveilleur de conscience, est appelé à continuer d’affirmer son identité sans gêne ni peur d’être critiqué, et poursuivre résolument sa mission par un enseignement venant beaucoup plus du cœur que de l’esprit, c’est-à-dire enraciné dans la foi, la prière et l’adoration.

Nous sommes à l’ère de l’image où l’homme montre plus de patience à regarder qu’à écouter, le monde est davantage convaincu par le témoignage que par des arguments intellectuels. Prêtres, où que nous soyons, soyons tout simplement ce que nous sommes, et notre mission se trouverait accomplie.

 

[1] Cf. Jn 6, 68-69.

[2] Pape François, Angélus du dimanche 24 avril 2022.

[3] Idem.