Intervention de frère Alois, Taizé - Best Practices
Dans notre communauté de Taizé il y a deux prêtres catholiques, sur actuellement 80 frères. Mais dans notre petite village de Bourgogne nous accueillons un grand nombre de prêtres qui accompagnent des groupes de jeunes ou qui viennent seuls pour des exercices spirituels. Le soir, après la prière commune, ils restent dans l’église pour écouter des confessions. Ils peuvent célébrer l’eucharistie quotidiennement et en particulier l’eucharistie festive le dimanche matin. Nous somme très reconnaissants pour leur présence. Ils accompagnent les jeunes qui viennent à Taizé au-delà de leur séjour parmi nous pour que leur pèlerinage porte des fruits dans la vie de tous les jours. Dimanche, après l’eucharistie et juste avant leur départ, c’est une tradition que le prieur de notre communauté va vers eux pour remercier chacun.
Très souvent des prêtres nous disent leur reconnaissance pour leur séjour. Je voudrais vous transmettre ici quatre expériences que, selon leur témoignage, ils font souvent à Taizé. Bien sûr, cela ne couvre pas tous les aspects d’une formation continue des prêtres, je me limite à ce dont je peux témoigner.
1. La première expérience qu’ils font souvent – et elle est essentielle – c’est de redécouvrir l’amour de Dieu. La surcharge dans la vie quotidienne et l’impression de ne pas voir assez de fruits d’un ministère pastoral peut ronger la conscience. Alors une crainte risque d’envahir leur vie intérieure, et la joie d’être aimé de Dieu est reléguée à une place secondaire. La source d’une vie d’Évangile peut être obstruée. Avoir des temps et des lieux pour se ressourcer devient alors une nécessité.
Sans être accompagné personnellement, il est difficile de maintenir cette priorité du ressourcement dans la vie intérieure. Dans une société où le succès se chiffre constamment, l’Évangile nous appelle à cultiver le sens de la gratuité et d’accepter que le fruit de notre labeur n’est pas toujours visible ou chiffrable. Répondre à l’appel du Christ c’est d’abord veiller à toujours retrouver l’émerveillement face à l’amour personnel de Dieu.
2. Une deuxième expérience que des prêtres font à Taizé c’est la proximité avec d’autres. A la prière commune, trois fois par jour, ils se trouvent tout naturellement dans l’assemblé, membres du peuple de Dieu avec tout le monde. Ils apprécient souvent que la liturgie est centrée avec peu de mots sur l’essentiel de l’Évangile. Le long temps de silence après la lecture biblique permet une assimilation plus profonde de la Parole de Dieu.
Ils sont mélangés aux autres pèlerins aussi dans les partages bibliques animés par un frère de la communauté, comme dans les petits groupes d’échanges et dans les tâches pratiques, la vaisselle, le nettoyage… Cela enlève une distance trop grande entre prêtres et laïcs. Ensemble ils font l’expérience d’une vie partagée quotidiennement.
En même temps, ils doivent constamment ajuster proximité et bonne distance, ce qui est un apprentissage essentiel en tout ministère pastoral. Le risque d’une fausse proximité est de chercher plus ou moins consciemment quelque chose pour soi-même, un « succès pastoral », ou même une satisfaction d’un besoin d’affection. Le besoin d’affection est bon, mais il nécessite une attention particulière. Là aussi un accompagnement personnel me semble indispensable pour apprendre à tenir un juste milieu entre proximité et distance.
3. Comme troisième expérience je peux mentionner l’écoute comme une priorité pastorale. A Taizé il y a un moment particulier pour cela : La prière commune du soir se prolonge, les pèlerins restent nombreux dans l’église, et avec quelques frères, ils continuent à chanter parfois jusqu’à tard dans la nuit. Nos chants répétitifs, faits surtout de paroles bibliques portent cette prière d’adoration, alors que des frères de la communauté se tiennent debout au fond de l’église pour parler personnellement avec qui le veut. Ce sont des brefs entretiens qui touchent souvent des questions existentielles. Des religieuses et aussi des pasteurs participent à ce ministère d’écoute. En même temps, dans un espace bien visible à part, des prêtres sont là pour écouter des confessions ou pour des entretiens personnels.
Cette écoute est peut-être un des lieux le plus important à Taizé. Les jeunes, comme aussi les moins jeunes, cherchent à être accueillis avec ce qu’ils sont, sans devoir craindre des jugements catégoriques. Quand ils trouvent dans l’Église une écoute compréhensive, ils font l’expérience que dans l’Église ils sont à la maison. Et cette expérience les met ou remet sur un chemin d’Évangile. De tels lieux d’écoute existent déjà dans l’Église, mais il me semble essentiel d’en créer encore beaucoup plus et d’associer des laïcs, hommes et femmes, à ce ministère.
4. La dernière expérience que je voudrais souligner est que des prêtres peuvent approfondir une sensibilité œcuménique lors d’un séjour à Taizé.
Je veux clairement écarter ici le malentendu que l’œcuménisme conduit à un nivellement des vérités de la foi. Dans notre communauté, il y a des frères catholiques et protestants de diverses origines. A travers notre vie commune, nous faisons l’expérience de ce que le pape Jean-Paul II a appelé un échange de dons. Oui, nous pouvons apprendre les uns des autres. Cela nous amène à purifier nos traditions, à mieux distinguer entre la Tradition apostolique et les traditions ou coutumes, si bonnes soient-elles, qui se sont greffées sur la foi.
La passion pour l’unité des chrétiens est fondamentale pour notre communauté. Le Christ a prié pour que ses disciples soient un. Il « est venu rassembler tous les enfants de Dieu dispersés ». Nos séparations obscurcissent la lumière de l’Évangile.
L’Assemblée synodale en octobre l’année passée a clairement affirmé l’engagement de l’Église catholique pour l’unité des chrétiens. La synthèse finale parle d’un « kairos œcuménique » pour « réaffirmer que ce qui nous unit est plus grand que ce qui nous divise ». Et le document fait le lien entre synodalité et œcuménisme : « C’est précisément le baptême qui est le principe de la synodalité, qui constitue aussi le fondement de l’œcuménisme. Par lui, tous les chrétiens participent au sensus fidei et, pour cette raison, doivent être écouté attentivement, quelle que soit leur tradition... ». (Une Église synodale en mission, rapport de synthèse, 7 a et b, les mots en italique le sont dans le texte.)
Une communion, encore imparfaite mais réelle, est en vérité donnée par le baptême qui nous rassemble comme peuple de Dieu et corps du Christ. A Taizé, notre recherche d’unité nous a conduits, depuis 50 ans déjà, à une possibilité d’hospitalité eucharistique. Tous les frères de notre communauté, communient dans une même foi à l’eucharistie présidée par un ministre catholique. Et il est clair pour nous que l’unité de l’Église universelle a besoin d’un ministère de communion qui est exercé par l’évêque de Rome, le pape. Cette manière de chercher et d’anticiper déjà l’unité reconnaît et confirme les prêtres qui nous visitent dans leur ministère. Et en même temps, grâce à des rencontres avec des chrétiens d’autres Églises ils peuvent réaliser concrètement que « ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise », comme les derniers papes ne cessent de le répéter. Les prêtres rencontrent chez nous parfois des pasteurs protestants ou des prêtres orthodoxes et découvrent comment eux vivent leur ministère pastoral. Et il devient plus évident qu’il est possible de cheminer ensemble dans beaucoup de domaines.
Ce sont donc quatre expériences que selon leurs témoignages des prêtres peuvent faire à Taizé :
1. Redécouvrir l’amour de Dieu
2. La proximité avec d’autres
3. L’écoute comme priorité pastorale
4. Approfondir la sensibilité pour l’unité des chrétiens
Comme j’ai dit au début de mon intervention, nous sommes très heureux à Taizé de pouvoir non seulement accueillir mais surtout collaborer avec les prêtres qui viennent chez nous en pèlerinage. Comme dans le processus synodal, nous avons besoin les un des autres.