Devenir des diacre, prêtres auteurs d’abus Mgr Jacques Turck

07 February 2024

Je vous remercie Monsieur de Cardinal YOU de m’avoir invité à témoigner de ce que nous proposons de vivre aux frères diacres, prêtres, évêques ou religieux qui ont été mis en cause pour des abus et des violences sexuelles.

 

 Mgr DAUCOURT (évêque émérite de Nanterre) et moi-même, avons ouvert deux maisons d’accueil en étroite communion avec la Conférence des évêques de France.

 

- Avant d’aller plus loin dans mon propos, je veux dire aux victimes de tels actes de violence combien les blessures et la souffrance qui sont les vôtres nous bouleversent. Et combien votre courage pour les faire connaître nous engage à vous soutenir avec toute la compassion que vous éveillez en nous et pour que de tels agissements soient sanctionnés et cessent.

 

- Les maisons que nous avons ouvertes ne sont pas des maisons de repos et de vacances. Les personnes qui s’y trouvent, sont envoyées par leur évêque, au sortir de la rencontre où celui-ci leur a signifié le contenu des plaintes reçues, le signalement fait à leur sujet au Procureur de la République et le retrait immédiat, par Décret, de tout ministère pastoral.

Ce sont des maisons où les personnes mises en cause sont accompagnées pour qu’elles prennent conscience de la gravité des blessures d’ordre criminel qu’elles ont pu commettre.

 

L’accompagnement mis en œuvre est structuré par des temps de célébration et de prière, de travail manuel, de réflexion spirituelle, morale et théologique.

Ces maisons sont isolées, à la campagne et sous l’autorité de l’Ordinaire du diocèse d’accueil.

 

Le chemin à parcourir est lent et le plus souvent douloureux. Les frères accueillis éprouvent un sentiment « d’exil » aride et difficile à vivre. Nous accueillons leur détresse lorsqu’ils parviennent à reconnaître : « C’est moi cet homme qui ait fait cela ».  Sortir du « déni » passe par un travail sur la vérité et donc par l’Aveu dont je ne détaille pas ici les composantes.

A cet « aveu » s’ajoute, la honte d’avoir failli gravement. Elle les plonge dans la souffrance.

Ces frères se heurtent alors à la peur ! Peur de n’être plus aimé par le Seigneur. Peur pour leur avenir. Par respect pour la dignité de ces frères nous n’avons pas le droit de refuser cette souffrance.

 

- Ce temps de mise à l’écart où de nombreux amis leur ont tourné le dos, provoque un sentiment d’abandon. Nous les aidons alors à passer du sentiment d’exil à celui d’un « exode », car au bout de l’exode il y a l’espérance d’une « terre promise ». C’est un chemin ouvert sur la miséricorde inconditionnelle de Dieu.

Cet acte de foi en la miséricorde et au pardon est mis en lumière par St François de Sales et le Bienheureux Jean Joseph Lataste (dominicain du XIX è s.) : Dieu ni les confesseurs n’estiment les hommes selon qu’ils ont été par le passé, mais selon ce qu’ils sont à présent »[1].

Des pécheurs en voie de conversion ! C’est ce qui leur permet de penser qu’il vaut encore la peine de vivre même si tout s’est écroulé autour eux

 

Nous intervenons souvent pour que l’envoyeur ne se désintéresse pas du frère en détresse et atténue par une visite, une lettre, un appel téléphonique, la souffrance éprouvée.

 

Dans nos maisons, seul le responsable, Mgr Daucourt ou moi-même, connaît la raison de la présence de tel ou tel. Discrétion et secret sur les faits antérieurs sont une obligation.

Le frère accueilli est suivi chaque semaine par un psychologue externe et chaque mois par un accompagnateur spirituel externe.

 

- Face aux abus dévoilés par le Rapport Sauvé qui ont blessé de nombreuses personnes, nous devons accueillir ce moment de l’histoire de l’Eglise comme un coup de grâce… aux deux sens de l’expression :

Un geste qui achève (met à mort) celui qui est encore un peu vivant !

Et une force de l’Esprit Saint qui intervient comme une chance : celle d’une reconnaissance de la gravité des faits et l’obligation de cesser ces crimes qui détruisent les autres.

Ce coup de grâce vise chacune des personnes en situation de péché et l’Eglise dans son ensemble (ce qui a été dénoncé comme systémique dans la gouvernance de ces exactions.) L’Esprit Saint signifie qu’il en est fini de ces crimes. Les mesures à prendre et les sanctions conduiront à l’arrêt immédiat, à la vigilance, à la prévention, à la protection des mineurs et personnes fragiles …en vue du Salut, - et de l’Eglise, - et de la personne incriminée.

 

-Au cœur de ces drames retentit la mission dont le Christ a chargé l’Eglise au soir de la résurrection (Jn 20, 23)..

Dans la désespérance où se trouvent les auteurs, ce chemin nous oblige à mettre en lumière le péché contre l’Esprit Saint qui consisterait à douter de la miséricorde du Seigneur et à désespérer de son pardon (Mc 3, 29).

Nous sommes ici au cœur de l’Evangile. Sa logique n’est pas l’exclusion mais la réintégration, dans une vie sainte par l’invitation à changer de vie ! Nous essayons de ne abandonner les frères qui ont fauté gravement. Certes pour obtenir le pardon le chemin à parcourir est long. C’est celui de St Pierre entre le chant du coq et la remise des clés.  St Pierre a-t-il mérité le pardon ?

Le pardon en christianisme ne s’inscrit pas dans une économie de l’échange. Aucune réparation, aucune compensation ne fera oublier la blessure infligée aux victimes d’abus. Le pardon n’anéantie pas la blessure et l’offense passée ! Point important dans la recherche de l’avenir des coupables. Le pardon s’inscrit dans l’ordre de la grâce ie de la gratuité ! C’est cet acte de foi qui nous anime. Il est de l’ordre du mystère.

 

La présence de ces frères et leur accompagnement dure tout le temps de l’enquête judiciaire : en France plus une année. Au terme, un jugement est prononcé. Parfois un non-lieu est prononcé quand il y a eu une accusation mensongère).

 

Question finale à laquelle nous avons besoin de trouver des réponses  : que faire ensuite ?  Que proposer à ces frères incriminés et qui ont purgé une peine (civile et canonique) ? Y a-t-il un chemin de réhabilitation possible ? Ne serait-ce que de reconnaître que l’on peut être disciple de Jésus, sans exercer un ministère qui relève du Sacrement de l’Ordre ?

Nous restons en lien avec la plupart. Beaucoup sont livrés à eux-mêmes et doivent trouver un lieu de vie et des moyens de subsistance.

 

[1] St Fr de Sales : Avertissement aux Confesseurs ch. I  Opuscules  - Quatrième série, OEA,A t. XXIII p. 280