Dans cette intervention[1], je voudrais présenter quelques réflexions pratiques et éducatives, en vue de la formation pastorale dans les Séminaires, à partir des Écritures, du Magistère de l’Église, — notamment Pastores dabo vobis[2] —, et de l’expérience.
A) La charité pastorale, source de la formation initiale et permanente
Caritas Christi urget nos, « l'amour du Christ nous presse » (2Co 5,14) : le cœur de la formation pastorale est la croissance dans la charité, infusée par l’Esprit Saint. S. Jean-Paul II écrit en effet : « Dans sa réalité objective, le ministère sacerdotal est amoris officium (S. Augustin) »[3].
« Toute la formation des candidats au sacerdoce est destinée à les disposer d'une façon plus particulière à communier à la charité du Christ Bon Pasteur. […]
Mais l'étude et l'activité pastorales renvoient à une source intérieure que la formation aura soin de préserver et de mettre en valeur: la communion toujours plus profonde avec la charité pastorale de Jésus. Comme elle a constitué l'origine et la force de l'action salvifique de Jésus, de même elle doit aussi, grâce à l'effusion de l'Esprit dans le sacrement de l'Ordre, constituer l'origine et la force du ministère du prêtre. Il s'agit d'une formation destinée non seulement à assurer une compétence pastorale scientifique et une habileté pratique, mais aussi et surtout à garantir la croissance d'une manière d'être en communion avec les sentiments et les comportements mêmes du Christ Bon Pasteur: ‘Ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus’ (Ph 2,5) »[4].
La source est le Christ diffusant l’Esprit Saint qui est l’Amour de Dieu répandu en nos cœurs. « Si quelqu’un a soif, dit Jésus, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi. Comme le dit l’Écriture : de son cœur couleront des fleuves d’eau vive. En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (Jn 7,37-39). « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5). C’est donc le contact de foi qui permet d’accueillir l’Esprit de charité. Ainsi, les séminaristes doivent être formés à ce contact de foi dans le Christ, qui s’entretient dans la prière (lectio, oraison, adoration eucharistique) et dans les sacrements.
La charité est une, et assume progressivement, durant le temps du Séminaire, une dimension pastorale jusqu’à devenir véritablement « charité pastorale », grâce au don de l’Esprit qui sera reçu à l’ordination presbytérale et dans l’exercice du ministère. Cependant, l’ordination n’est pas magique : s’il n’y a pas, avant l’ordination, une charité qui est vécue chaque jour et qui se développe, il n’y aura pas de charité pastorale après !
Une question importante à se poser maintenant: quels sont « les sentiments et les comportements » qui caractérisent et résument la charité pastorale de Jésus ?
1. Dans le Christ, on observe une double attitude fondamentale qui aide à mieux comprendre ses sentiments : le don de soi filial au Père et aux hommes, dans l’humilité et dans l’amour, et le fait de se recevoir totalement du Père : Jésus reçoit de Lui sa mission, manifestée par son baptême messianique (cf. Mc 9,1-11.35-39) ; le choix des Douze, après une nuit de prière (cf. Lc 6,12-16) ; ses brebis (« ceux que Tu m’as donnés » revient sept fois en Jn 17) ; ses œuvres (cf. Jn 10,32.37) ; son propre agir et son pouvoir salvifique (cf. Jn 5,19.30 ; 17,2) ; également ses paroles (cf. Jn 17,3), etc. Nous savons que, depuis le commencement de l’Incarnation, Il a dit au Père : « Tu n’as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m’as formé un corps. Tu n’as pas agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché ; alors, j’ai dit : ‘Me voici, je suis venu, mon Dieu, pour faire ta volonté, ainsi qu’il est écrit de moi dans le Livre’ » (He 10,5-7). Et l’auteur ajoute : « c’est grâce à cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’offrande que Jésus Christ a faite de son corps, une fois pour toutes » (He 10,10). Ce n’est pas par hasard que le Concile Vatican II a fait mention de la charité pastorale dans ce contexte de don de soi de Jésus et de l’unité de vie des prêtres :
« En vérité, le Christ, pour continuer toujours à faire dans le monde, par l’Église, la volonté du Père, agit à travers ses ministres. C’est donc lui qui demeure toujours la source et le principe d’unité de leur vie. Les prêtres réaliseront cette unité de vie en s’unissant au Christ dans la découverte de la volonté du Père, et dans le don d’eux-mêmes pour le troupeau qui leur est confié. Assumant ainsi le rôle du Bon Pasteur, ils trouveront dans l’exercice de la charité pastorale le lien de la perfection sacerdotale qui assure l’unité de leur vie et de leur action. Or, cette charité pastorale découle avant tout du sacrifice eucharistique ; celui-ci est donc le centre et la racine de toute la vie du prêtre, dont l’esprit sacerdotal s’efforce d’intérioriser ce qui se fait sur l’autel du sacrifice. Cela n’est possible que si les prêtres, par la prière, pénètrent de plus en plus profondément dans le mystère du Christ »[5].
En ce qui concerne le don de soi au troupeau confié, je renvoie le lecteur à la figure du Bon Pasteur en Jn 10. Le Pape S. Jean-Paul II déclare : « La charité pastorale détermine notre façon de penser et d'agir, notre mode de relation avec les gens. Cela devient particulièrement exigeant pour nous... »[6]. Le peuple sent quand le prêtre l’aime. L’objectif est donc que les séminaristes apprennent à aimer les personnes qu’ils rencontrent, comme le Christ, en les servant :
« Le leadership doit aller avec le service, mais avec un amour personnel envers les gens. Un jour, j’ai entendu un curé qui disait : ‘Cet homme connaissait le nom de tous les habitants de son quartier, même le nom des chiens !’. C’est beau ! Il était proche, il connaissait chaque personne, il connaissait l’histoire de toutes les familles, et il savait tout. Et il aidait. Il était si proche… Proximité, service, humilité, pauvreté et sacrifice. Je me souviens des vieux curés de Buenos Aires, quand il n’y avait pas de téléphone portable, la messagerie ; ils dormaient avec le téléphone près d’eux. Personne ne mourait sans les sacrements. On les appelait à n’importe quelle heure : ils se levaient et y allaient. Service, service. Et lorsque j’étais évêque, je souffrais quand j’appelais une paroisse et tombais sur la messagerie… Ce n’est pas cela le leadership ! Comment peux-tu conduire un peuple si tu ne l’entends pas, si tu n’es pas à son service ? »[7] ...
[1] Traduction française de l’intervention de Mgr Patrón Wong donnée à Rome le 24.07.2015, dans le cadre d’un cours de formation des formateurs.
[2] S. Jean-Paul II, Exhortation Apostolique Pastores dabo vobis (PDV) sur la formation des prêtres dans les circonstances actuelles, Cité du Vatican, 25.03.1992.
[3] PDV, n° 24.
[4] PDV, n° 57.
[5] Concile Vatican II, Décret Presbyterorum Ordinis (PO) sur le ministère et la vie des prêtres, Cité du Vatican, 07.12.1965, n° 14.
[6] PDV, n° 23.
[7] François, « Discours aux Recteurs et aux étudiants des Collèges et Convicts pontificaux de Rome », 12.05.2014.